Entrepôt à textes

Le souvenir a le même pouvoir que l'écriture. (Amélie Nothomb)

Mardi 19 février 2008

Evocation rendue le 30.11.07

 

"Quand tu aimes, il faut partir"

(Blaise Cendrars)

La nuit froide et épaisse m’englobe, moi, chétif papillon. Perdu, seul au milieu de cette immensité noire mouchetée de quelques maigres lueurs incertaines, je me sens attiré, tel le navigateur épuisé qui aperçoit enfin la terre promise, par l’éclat accueillant de la flamme dansante du feu encore lointain.

A coups de petits battements d’ailes furtifs, je m’approche lentement de cette attractive lumière dont la douce clarté illumine l’oppressante noirceur du ciel, cette providentielle sauveuse envoyée pour m’arracher aux flots trop tranquilles de la mare d’ébène sur laquelle je vogue, abandonné à moi-même, depuis si longtemps.

Arrivant au terme de ma quête et pouvant presque frôler mon but, je prends, soudain, conscience de l’aspect inquiétant de l’objet de mon désir dissimulé jusqu’alors. A ses pieds, les corps inertes de tous les inconscients, n’ayant pas su résister aux aguichants clins d’œil que leur adressait la chaude flamme dorée, jonchent le sol.

Tout à coup, la peur m’assaille. Vais-je, moi aussi, succomber à la tentation, incapable de résister à mon envie de toucher au paradis, ne serait-ce qu’un instant, avant de descendre en enfer ? Ne suis-je que le perdant prédestiné de ce jeu dangereux dans lequel je me suis engagé malgré moi ? Le pion, sans volonté, prêt à se faire manger, docilement, par la calculatrice reine du camp adverse qui ne veut que ma perte ?

La reine en question, dont l’apparente chaleur dissimule un cœur glacial, ondule langoureusement et use de ses charmes pour m’appâter. Poussé par mes sens, comme le loup affamé vers la blanche brebis, je suis à deux doigts de céder à ses avances pressantes.

Je ne suis qu’un être comme tous les autres, soumis aux lois divines de la nature, guidé par des éléments indépendants de ma volonté. Mais ne suis-je que leur pantin articulé ? Les bataillons au service de ma raison témoignent du contraire.

A cet instant, un combat intérieur entre conscience et instinct s’engage. Les puissances égales des deux forces en présence rendent le dénouement de la bataille incertain. Attirance et répulsion se confondent dans un furieux corps à corps dont l’issue déterminera mon sort. La première semble, tout d’abord, prendre le dessus, mais, au moment où sa victoire semble certaine, sa rivale, à l’air résigné, la prend par surprise et lui assène un coup fatal.

Ayant retrouvé mes esprits, je m’éloigne promptement du démon, au costume d’ange, dont la main de fer gantée de velours était sur le point de saisir ma frêle enveloppe de lépidoptère.

Un peu plus loin, forcé de m’arrêter pour reprendre mon souffle, j’observe, à distance, la sinistre élégance, qui continuera à captiver des centaines d’égarés, de la ténébreuse déesse qui aurait pu m’offrir un bref instant d’extase, avant de me prendre mon cœur et d’abandonner ma carcasse inhabitée au milieu de la ruine de ses désirs passés.

Je m’imprègne encore, quelques secondes, de la majestueuse image de la flamme ondoyante, puis, je reprends ma route, ne gardant que le douloureux souvenir de ce qui fut ma plus grande faiblesse. 

Aude Awa

Par Audawa - 0 commentaire(s)le 19 février 2008
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