"Destins croisés"
Gare de Boston, lundi 22 octobre 2007, 6h12 : un sans-abri aux pantoufles à carreaux dort sur l’escalier, un architecte en costard très classe va travailler, une jolie femme vêtue d’une robe légère s’apprête à prendre le train pour New-York, et un homme désespéré, tenant à la main un sac en plastique rempli d’une plaque de chocolat et de 6 bouteilles de bière, se tient le front en soupirant. Ces quatre personnes ne se connaissent pas et ne font pas attention les unes aux autres, pourtant dans quelques minutes, leur destin sera à jamais lié. Mais pour l’heure, elles ne se soucient que de cette nouvelle semaine qui commence.
Jean-Baptiste Grimbert est Français et a fait des études littéraires. Il y a trois ans, il a quitté son poste d’éditeur à Paris pour venir s’installer aux Etats-Unis, car il s’était vu proposer un poste dans une grande maison d’édition bostonienne.
Trois ans plus tôt, Jean-Baptiste abandonne donc son emploi à Paris pour recommencer une nouvelle vie à Boston. Dès son arrivée, sa situation s’améliore considérablement. Son salaire est deux fois plus élevé qu’avant, et il mène une vie confortable dans un bel appartement lumineux situé dans un quartier tranquille. Jean-Baptiste n’a jamais été aussi heureux, il aime l’ambiance et la culture de cette ville et s’adapte très vite au mode de vie américain. Malheureusement, le bonheur n’est pas éternel, et deux ans et demi plus tard, Jean-Baptiste voit sa vie prendre un nouveau virage.
Février 2007, la maison d’édition où travaille Jean-Baptiste est en déficit, la pression de la concurrence devient trop forte et les clients se raréfient. L’entreprise tente de diminuer les frais, mais les dettes continuent de s’accumuler et l’entreprise finit par devoir fermer ses portes le 13 avril.
Du jour au lendemain, Jean-Baptiste se retrouve à la porte, avec des charges qu’il ne peut plus assumer et la gérance de son appartement le met dehors. Nous sommes le 16 juin, Jean-Baptiste est effondré, il n’a plus de travail, plus de logement et plus d’argent.
Aujourd’hui, il réussit à se nourrir grâce à la compassion des passants et à quelques petits jobs passagers, mais ses maigres économies ne lui permettent pas de retrouver un appartement et il doit, chaque jour, trouver un nouvel endroit où passer la nuit. La seule chose qui le raccroche encore à la vie, c’est l’écriture. Il traîne partout son petit calepin rouge, et s’inspire de son entourage pour raconter de petites nouvelles. Il espère qu’un jour, il trouvera quelqu’un pour les publier, et qu’il pourra, ainsi, remonter la pente et retrouver une situation correcte.
John McHale mène une petite vie bien rangée. Il occupe, depuis quatre ans maintenant, un poste important dans un cabinet d’architectes réputé, il prend le train chaque matin à 5h37 pour se rendre sur le lieu de son travail, et le reprend chaque soir à 18h04 pour regagner son appartement à l’autre bout de la ville. John habite avec sa femme Jessica dans un 6 pièces spacieux et moderne situé dans un quartier très prisé. Il est très heureux en ménage et envisage d’avoir des enfants, deux, une fille et un garçon si possible. Il fait 1h de jogging avec son labrador tous les dimanches matin et mange une entrecôte tous les dimanches midi. Sa femme lui cuisine de bons petits plats, lui repasse ses chemises, s’occupe de garder l’appartement en ordre et lui fait l’amour quand il en a envie, sans jamais se plaindre. John a donc le kit complet de la famille parfaite.
Meryl Brandon a 21 ans, un corps qui ferait saliver d’envie de nombreuses femmes et un visage de porcelaine encadré par une tignasse épaisse de cheveux noirs. Elle travaille dans le mannequinat depuis maintenant deux ans, et elle décroche quelques contrats intéressants avec de grandes marques. Mais, malgré son succès naissant, Meryl reste la même personne. Elle a toujours été une fille simple, discrète, souriante et à l’écoute des autres, et son travail n’y change absolument rien. Elle continue d’être très proche de sa famille et de ses amis qui restent sa priorité.
Aujourd’hui, Meryl doit se rendre à New-York pour la semaine, afin de faire une série de séances photos pour son book. Elle n’est pas emballée à l’idée de devoir passer toute une semaine loin de son compagnon qu’elle voit déjà très peu, mais elle espère qu’elle pourra bientôt prendre une semaine de vacances pour partir avec lui aux Bahamas.
Robert Brashares a le moral dans les chaussettes depuis que sa femme Ann l’a quitté, il y a deux mois de cela. Leur couple battait de l’aile depuis quelques temps déjà, mais Robert pensait pouvoir réparer les pots cassés et repartir du bon pied. Ann n’était apparemment pas de son avis, et elle avait décidé de mettre fin à leur relation et de demander le divorce.
Robert a 54 ans. Il avait épousé Ann quand il en avait 33 et pensait finir sa vie avec elle. Ils avaient eu trois enfants de leur mariage : deux filles de 19 et 17 ans, Lisa et Carol, et un garçon de 15 ans, Peter. Désormais, Ann habite à Washington avec les trois enfants et Robert ne les voit plus qu’un week-end par mois. Il ne supporte pas l’idée de vivre loin d’eux et pleure chaque soir au moment où il doit se coucher dans le lit qu’il a partagé avec sa femme pendant 20 ans.
Depuis que sa famille est partie, Robert ne prend plus soin de lui, il fonctionne comme un automate et n’a plus goût à la vie. Avant, il mettait un soin particulier à choisir sa tenue tous les matins, maintenant, il enfile le premier pantalon et la première chemise venus et il fait la lessive le moins possible. Il ne sort de chez lui que pour aller travailler (il est programmeur dans une boîte d’informatique) et il mange mal. Il se nourrit exclusivement de plats à réchauffer et de conserves et il n’achète plus le moindre aliment frais. Il ne rend plus visite, ni à sa famille, ni à ses amis, ne répond plus au téléphone et voit la mort comme une délivrance.
Aude Awa