Il est 20h, la nuit est tombée depuis un moment déjà, mais je cours en regardant défiler les silhouettes noires des arbres. J’essaie de ne penser à rien et d’être en harmonie avec mon corps et la nature environnante, mais je peine à y arriver. La tristesse me gagne comme souvent lorsque je me retrouve seule avec moi même. Quand je suis en société, il me suffit de me réfugier derrière l’ironie et le sarcasme pour donner le change et faire croire que je vais bien, mais quand je suis seule, je ne peux pas tricher sur mes sentiments et ils finissent toujours par s’imposer à moi d’une manière ou d’une autre.
Il est maintenant 20h15, je sens une boule de chagrin qui grossit dans mon ventre et m’empêche de continuer à courir. Je m’arrête et m’assieds sur une pierre au bord du chemin. Les larmes forcent le passage jusqu’à mes yeux et, malgré ma résistance, je ne peux les empêcher de couler. Toutes mes émotions refoulées remontent à la surface, je ne peux plus m’arrêter de sangloter et de pleurer.
Soudain, je sens une présence. Je relève la tête et voit un homme entrain de fumer une cigarette en me regardant. Ma première réaction est une réaction de colère. Cet l’homme n’a-t-il vraiment rien de mieux à faire que de se délecter du malheur des autres ? Mais, quand mon regard croise le sien, je ressens un étrange sentiment de compréhension mutuelle. Il a un regard franc et direct, mais rempli d’amertume. Nous nous contemplons pendant plusieurs minutes sans éprouver de gène, il n’y a pas une once de séduction dans nos regards respectifs. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression qu’un homme peut s’intéresser à qui je suis réellement. Je sais que mon visage doit être ravagé, mais je m’en moque, plus rien n’a d’importance en ce moment.
Après un bon quart d’heure d’inaction, l’homme s’allume une deuxième cigarette et me tend le paquet. Je n’ai jamais fumé, mais pour la beauté du geste, j’accepte son invitation tacite. Il me prête ensuite son briquet, et j’allume à mon tour mon petit cylindre de tabac et aspire une bouffée de substance toxique. Ma gorge me pique et j’ai un mauvais goût de fumée dans la bouche, mais peu importe.
Nous restons encore quelques instants ensemble, puis l’homme me fait un petit signe de la tête, se retourne et rentre chez lui. Je me sens bizarre, mais heureuse. Je n’ai jamais rien vécu d’aussi intense et j’aimerais revoir cet homme. En même temps, la magie de ce moment tient aussi à son côté éphémère.
Un peu plus tard, je reprends le chemin de chez moi en courant. En arrivant à mon appartement, je me glisse entre mes draps et m’endors sereine. Pour une fois, je sais que je serai contente de me lever demain pour voir ce que la vie a d’autre à me proposer…
Aude Awa